L’alcoolisation fœtale
Depuis des millénaires, les animaux et beaucoup plus tard, les humains, hommes et femmes, de toutes cultures et de tous les continents, consomment de l’alcool. Et particulièrement pour l’alcoolisation fœtale, voilà les mots importants :
« …contribué à faire (…) ce que nous sommes ».
L’alcoolisation fœtale est ce processus par lequel les cellules d’un embryon et du fœtus entrent en contact avec l’alcool pendant et peu après que la future mère en consomme.
Ce processus qui, de la perspective de l’embryon et du fœtus, est subi et donc non volontaire, risque de nuire à leur développement. Nous parlons de « risques » parce qu’il y a divers facteurs qui influenceront l’impact qu’aura l’alcool sur le bébé en formation.
Plus l’exposition à l’alcool est grande, et plus elle est fréquente, plus les risques sont élevés. C’est en ce sens que l’alcool au cours de la grossesse peut contribuer directement à la naissance de personnes qui présenteront soit des anomalies particulières, soit un trouble du spectre de l’alcoolisation fœtale (TSAF).
Alors, pour paraphraser Patrick E. McGovern, pour elles, l’alcool a littéralement contribué à faire ce qu’elles sont.
L’histoire et la recherche sur le TSAF
nous ont appris que :
- Les humains fabriquent et consomment de l'alcool depuis des millénaires.
- Des mises en garde sur les dangers de l'alcool pour l'enfant à naitre ont été émises dans différentes cultures depuis des milliers d'années.
- L'alcool consommé pendant la grossesse animale et humaine a des effets toxiques tant sur la grossesse et que sur l'embryon.
- L'alcool ingéré par la mère traverse le placenta et se retrouve au moins en même proportion, parfois davantage, dans le corps du fœtus.
- L'alcool consommé par la mère ou la nourrice qui allaite se retrouve dans le lait maternel.
- L'alcoolisation maternelle est la cause d'anomalies spécifiques chez l'embryon et le fœtus.
- L'exposition à l'alcool pendant la grossesse a un impact négatif sur le système nerveux de l'enfant à naitre.
- La consommation maternelle est une cause importante de naissances prématurées, de déficit intellectuel, de retard et de troubles de comportement.
- Les recherches animales confirment que l'exposition à l'alcool sur les embryons et les fœtus des mammifères et des oiseaux a des conséquences similaires à celles qui sont observées chez les humains.
- L'exposition prénatale à l'alcool cause une embryofoetopathie spécifique découverte dans quelques pays entre 1955 et 1971, et qui a porté différentes appellations : syndrome alcoolo-fœtal, syndrome d'alcoolisme fœtal, syndrome d'alcoolisation fœtale. Depuis 2015, cette embryofoetopathie correspond au Canada à « TSAF avec traits faciaux caractéristiques ».
Le Trouble du spectre de l'alcoolisation fœtale
un terme diagnostique.
- Des retards de développement
- Des obstacles cognitifs
- Des difficultés comportementales souvent en lien avec des atteintes sensori-motrices et la régulation des émotions et de l’état de vigilance
Chaque personne qui a un TSAF
est unique.
Le mot spectre dans l'appellation « trouble du spectre de l’alcoolisation fœtale » a une grande importance.
Spectre réfère ici à la palette de couleurs qui se révèlent lorsque la lumière passe à travers un prisme.
Certaines personnes seront très affectées, d'autres beaucoup moins, et entre ces deux extrêmes, une infinité de variations.
Le TSAF est la plupart
du temps invisible.
Même si ce n'est pas le sens original du mot spectre dans l'acronyme TSAF, il fait aussi penser à fantôme... ce qui permet de souligner fort à propos que dans la majorité des cas, le TSAF est invisible. En effet très peu de personnes qui ont un TSAF, autour de 20 % et peut-être moins, présentent les caractéristiques physiques typiques du TSAF.
Le TSAF est une condition fréquente mais peu dépistée.
En 2016, le Directeur national de santé publique du Québec, dans son Avis de santé publique sur la non-consommation d’alcool pendant la grossesse cite une étude albertaine selon laquelle l’incidence du TSAF serait de 1,4 % à 4,4 %.
La prévalence du TSAF au Québec est sûrement supérieure à ces données. Dans ce même Avis, le Directeur de la santé publique du Québec déclare en effet :
Le Québec est la province au Canada où le taux de consommation d’alcool durant la grossesse est le plus élevé, soit 25,6 % selon les plus récentes données (1993 à 2008) en la matière provenant de Statistique Canada. Ce taux est un peu plus que le double de la moyenne d’autres provinces canadiennes. Selon une autre enquête, soit celle de l’Institut de la statistique du Québec menée en 2006, la proportion de mères ayant consommé de l’alcool durant la grossesse était de 34,1 % concernant l’ensemble du Québec.
Au Québec, le message de l’importance de ne pas consommer d’alcool pendant la grossesse pour éviter de causer des dommages au fœtus est de plus en plus connu.
Cependant les manifestations du TSAF chez les personnes qui en sont atteintes, le sont peu, tant par la population en général que chez l’ensemble des intervenant(e)s qui travaillent avec les enfants et leurs familles, de même qu’avec des adultes.
Par conséquent, le TSAF est peu dépisté et peu diagnostiqué. Ce qui rend les attentes ainsi que les interventions, peu adaptées aux besoins réels des personnes qui vivent avec un TSAF.
Les principaux écueils
au dépistage et au diagnostic.
- Il faut bien connaître ce qu’est le TSAF pour le dépister et le diagnostiquer.
- Le diagnostic est complexe et requiert une approche multidisciplinaire.
La confirmation d’exposition à l’alcool avant la naissance n’est pas toujours facile à obtenir, surtout quand l’enfant a été adopté(e). De plus, on a constaté que les femmes enceintes et les mères vivent de la culpabilité face à leur consommation d’alcool pendant la grossesse. Elles craignent le jugement des autres, ou de perdre la garde de leurs enfants. Il est donc difficile pour elles d’admettre consommer ou l’avoir fait, ou de donner l’information juste; elles tendent à faire du déni ou à minimiser leur consommation. D’autre part, les gens ne connaissent pas toujours le volume de ce qu’on appelle une verre-standard, dont la définition varie d’ailleurs d’un pays à l’autre, ce qui favorise également la communication d’informations erronées sur la consommation réelle.
Trouver au Québec un pédiatre qui connaît le TSAF en mesure de faire un diagnostic différentiel et d’appliquer les normes diagnostiques relatives au TSAF est peu facile, et pour les adultes, hormis quelques généticiens, il est pratiquement impossible de trouver un spécialiste pouvant poser un diagnostic, en raison de la rareté des neurologues qui s’intéressent au TSAF et des neuropsychiatres.
Le TSAF peut être sous-diagnostiqué, sur-diagnostiqué et il peut y avoir des diagnostics différents pour la même personne.
Le TSAF, méconnu, est souvent confondu avec
Certains pédiatres vont parfois émettre un diagnostic de trouble du spectre de l’autisme en lieu et place de TSAF, soit par manque de connaissances ou de ressources pour diagnostiquer le TSAF, soit pour favoriser que l’enfant ait accès à des services considérant qu’aucun établissement du réseau de la santé et des services sociaux n’a encore intégré le TSAF dans sa mission. Le TSAF est aussi sur-diagnostiqué dans la population des Premières-Nations, dans lesquelles il est rare de rencontrer une personne avec un diagnostic médical d’autisme, et sous-diagnostiqué dans la population allochtone, des enfants allochtones ayant un TSAF se retrouvant porteurs d’un diagnostic de TSA.
L’histoire et la recherche sur le TSAF
Comparaison de prévalence du TSAF avec d’autres conditions au Québec
Trisomie 21
0,13% ou 1/770 11,170 personnes
TSA*
0,7 à 1,8% (INSPQ) 60,200 à 154,800 personnes
TSAF (estimée)
au minimum 1,4 à 4,4% 120,400 à 378,000 personnes
Comorbidités
D’une part, les enfants peuvent hériter de certains traits de leurs parents biologiques. L’alcool est en effet souvent utilisé comme auto-médicament par des femmes aux prises avec des problèmes de santé mentale, souvent non dépistés, et qui pourront être transmis à leurs enfants, tout comme ceux du père biologique.
Parmi les comorbidités les plus fréquentes, on retrouve :
- Troubles d’attention
- Déficience intellectuelle
- Troubles d'apprentissage
- Troubles de comportement
- Troubles dépressif et d’anxiété
- Troubles de langage
Les facteurs de risque
Il est impossible de prédire l’issue d’une grossesse pendant laquelle il y a eu consommation d’alcool, car plusieurs facteurs entrent en jeu.
La consommation d’alcool pendant la grossesse comporte des risques pour l’enfant à naitre :
Les facteurs liés à l’exposition de l’embryon et du fœtus à l’alcool
- Quantité consommée et le mode de consommation
- Fréquence de l’exposition
- Durée de l’exposition
Plus la consommation est importante, plus elle est fréquente, plus elle comporte de risques de dommage pour l’embryon et le fœtus.
Il est généralement admis que 2 épisodes et plus de consommation de plus de 3 verres en deux heures ou la prise régulière de 7 verres répartis dans la semaine pendant la grossesse risquent de causer un TSAF. Les auteur(e)s des lignes directrices canadiennes en matière de diagnostic du TSAF révisées en 2015 mentionnent à cet égard que les femmes qui prennent un total de 7 verres par semaine pendant la grossesse ne boivent généralement pas à chaque jour mais consomment cette quantité hebdomadaire plutôt en 2 à 3 fois; or plus la concentration d’alcool est grande dans le corps de la mère et celui du fœtus à un moment donné, plus les risques sont élevés d’affecter le développement alors en cours.
Le TSAF n’est pas un risque seulement pour les bébés de femmes qui sont alcooliques et en état d’ébriété presque constamment. Ainsi une femme qui boit un apéro le midi, puis un verre de vin au souper et sirote un digestif en soirée deux heures plus tard n’aura pas été en état d’ébriété pendant la journée parce que son corps aura eu le temps de métaboliser l’alcool entre les périodes. Cependant elle aura consommé 3 verres dans la journée. Si pendant sa grossesse elle le fait aux 3 jours, en 30 jours elle aura consommé 30 verres, soit 7 verres par semaine, la quantité à risque de causer un TSAF.
D’autre part des recherches ont en entre autres démontré :
- qu’une consommation quotidienne de 14 à 30 grammes d’alcool pur pendant toute la grossesse, soit environ 1 à 2.25 verres-standard au Canada et aux États-Unis et 1.5 à 3 verres-standard en France, peut diminuer de 7 points le quotient intellectuel de l’enfant à naitre.
- qu’une consommation quotidienne d’un verre risque de causer un problème de coordination visuomotrice.
- Périodes d’exposition
- Types de consommation: régulière et épisodique
- Combinaison de l’alcool avec d’autres produits tératogènes
Si l’enfant a été exposé(e) à une consommation moindre en quantité ou encore moins fréquemment, un ou plusieurs domaines du développement neurologique peuvent être affectés sans que son état corresponde au diagnostic de TSAF.
En outre il ne faut pas oublier que certains fœtus sont plus vulnérables à l’action de l’alcool, et également que le cerveau est l’organe qui y est le plus sensible. Ce qui peut être une consommation moins à risque pour le fœtus chez une femme enceinte peut se révéler très nocive pour celui d’une autre.
C’est pourquoi il est impossible d’établir un seuil de consommation d’alcool sans risque pour le fœtus, et de prédire s’il y aura des conséquences après une exposition prénatale à l’alcool, et le cas échéant, d’en prédire la nature et l’intensité.
Pour une grossesse sans risque pour le futur bébé, et sans anxiété pour la future maman, il est donc préférable de s’abstenir de consommer de l’alcool
Pour connaitre ce que représente un verre-standard au canada :
13,5gr d’alcool pur.
Les facteurs liés à la mère
- État de santé et soins obstétricaux
- Nutrition
- Taille, poids et tolérance
- Âge
- Métabolisme
- Nombre de grossesses antérieures
- Stade de l’alcoolisme
- Conditions de vie
Les facteurs liés au fœtus
- État de santé et nutritionnel
- Susceptibilité biologique à l’alcool
Pour plus d’informations
sur la consommation d’alcool pendant la grossesse.
Les forces des personnes vivant avec un TSAF
Ce sont des championnes de la survie. Elles ont survécu avant de naitre dans un environnement qui était parfois ou souvent toxique à cause de l’alcool qui les imprégnait. Elles sont demeurées en vie. Ce sont des « battantes », des personnes très persévérantes et déterminées.
Lignes directrices canadiennes en matière de diagnostic de TSAF
L’évolution de la recherche et le partage des connaissances sur le plan international en matière d’alcoolisation fœtale a permis de raffiner les critères menant au diagnostic.
Normes de diagnostic du TSAF redéfinies en 2015.
3 catégories, 2 diagnostics :
2 diagnostics:
TSAF AVEC traits faciaux caractéristiques (TFC),
ou « traits sentinelles »
TSAF SANS traits faciaux caractéristiques (TFC),
ou « traits sentinelles »
Une catégorie non diagnostique, pour les enfants:
La présence ou non de traits faciaux caractéristiques n’est pas le critère le plus important. Ce sont plutôt les atteintes graves dans 10 domaines neurologiques spécifiques qui sont déterminantes :
- Habiletés motrices
- Neuro-anatomie
- Neurophysiologie
- Cognition
- Langage
- Rendement scolaire
- Mémoire
- Attention
- Fonctionnement exécutif y compris le contrôle des impulsions et l’hyperactivité
- Régulation de l’affect
- Comportement adaptatif
- Aptitudes sociales ou communication sociale
TSAF avec TFC :
En pratique, nous constatons malheureusement qu’au Québec, certains des rares pédiatres qui font des diagnostics de TSAF vont refuser de voir l’enfant en l’absence de confirmation préalable au dossier de consommation d’alcool par la mère pendant la grossesse, et ceci en dépit du fait de la présence évidente de traits faciaux caractéristiques et d’atteintes neurologiques spécifiques au TSAF. Cette position constitue un obstacle majeur au diagnostic des enfants qui présentent toutes les manifestations d’un TSAF avec traits faciaux caractéristiques. Comme nous le verrons plus loin, il n’est pas toujours facile de pouvoir prouver que l’enfant a été exposé à l’alcool avant sa naissance.
Aide-mémoire - Critères diagnostiques
Domaines | Sous-domaines principaux à évaluer – manifestations |
Habiletés motrices | Motricité globale, fine, habiletés graphomotrices, habiletés visuomotrices |
Neuroanatomie-Neurophysiologie | Périmètre crânien, trouble convulsif, anomalies structurelles du cerveau |
Cognition | Test de QI – accent sur le raisonnement verbal et le raisonnement non-verbal |
Langage | Langage de base, langage expressif, langage réceptif |
Rendement scolaire | Rendement en lecture, en mathématiques, expression écrite-ou écart entre le QI et le rendement dans ces activités académiques |
Mémoire | Mémoire globale, mémoire visuelle, mémoire verbale |
Attention | Attention soutenue ou sélective, résistance à la distraction |
Fonctionnement exécutif | Contrôle des impulsions, hyperactivité, mémoire de travail, planification, résolution de problèmes, flexibilité cognitive (capacité à faire la transition entre 2 tâches cognitives) |
Régulation de l’affect | Présence des troubles suivants tels que définis dans le DSM-5 : trouble dépressif majeur récurrent, trouble dépressif persistant, trouble persistant -et non réactionnel ou situationnel- disruptif avec dysrégulation émotionnelle (irritabilité persistante avec épisodes de comportements incontrôlables), trouble d’anxiété de séparation, mutisme sélectif, trouble d’anxiété sociale, trouble panique, agoraphobie, trouble d’anxiété généralisée. |
Comportement adaptatif, aptitudes sociales ou communication sociale | Vie autonome : incapacité à fonctionner dans les aspects importants de la vie autonome : gestion de l’argent, entretien du domicile, emploi, hygiène personnelle, socialisation, adaptation, soins des enfants et des animaux Compétence sociale : victimisation financière, implication involontaire dans des délits par naïveté sociale, inaptitude à participer dans des thérapies de groupe ou à vivre dans des foyers de groupe. |
TSAF sans TFC :
Risque de trouble neurodéveloppemental
et de TSAF associé à l’exposition prénatale à l’alcool.
Entrent dans cette catégorie les enfants pour lesquel(le)s l’exposition prénatale à l’alcool est confirmée mais sans manifestation, lors de l’examen, d’atteintes neurologiques reliées au TSAF. Leur développement doit faire l’objet d’attention spéciale, particulièrement pendant le parcours scolaire, et il est recommandé de procéder à des évaluations psychologiques ou neuropsychologiques si des difficultés surgissent. Souvent, ces enfants seront les frères ou les sœurs d’un enfant qui a reçu un diagnostic de TSAF.